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04/08/2025 - Général

L’intelligence artificielle : une révolution durable ou une bulle spéculative ?

La récente explosion des valorisations des entreprises liées à l'intelligence artificielle fait débat sur les marchés financiers. Certains craignent une répétition de la bulle Internet de la fin des années 1990, tandis que d'autres, notamment chez Citigroup, Goldman Sachs et Morgan Stanley, estiment qu'il s'agit d'un marché haussier structurel porteur d'un potentiel de croissance à long terme.

Une concentration sans précédent dans les indices

Les entreprises associées à l'IA représentent aujourd'hui une part importante du S&P 500, générant environ 35% des bénéfices totaux de l'indice et représentant presque la moitié de sa capitalisation boursière. Cette concentration s'articule principalement autour de ce que les analystes appellent désormais les "Magnificent Seven" : NVIDIA, Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon, Meta et Tesla.

NVIDIA illustre parfaitement cette dynamique avec une valorisation qui dépasse désormais 1 800 milliards de dollars, propulsée par la demande explosive pour ses puces GPU H100 et A100, devenues indispensables aux centres de données d'intelligence artificielle. Microsoft, avec sa capitalisation de plus de 2 800 milliards de dollars, bénéficie de son partenariat stratégique avec OpenAI et de la croissance de ses services Azure AI. Cette concentration a créé une dépendance significative des indices majeurs aux performances de ces entreprises technologiques, le NASDAQ-100 affichant désormais une surpondération technologique de plus de 50%.

Des fondamentaux qui résistent à l'analyse

Contrairement à une bulle purement spéculative, les analystes de Citigroup soulignent que les valorisations de ces entreprises conservent une certaine cohérence lorsqu'on examine leurs fondamentaux. Le ratio PEG, qui mesure la valorisation par rapport à la croissance attendue, reste souvent inférieur à celui de la moyenne des marchés pour les leaders du secteur. NVIDIA affiche ainsi un PEG de 0,8, Microsoft de 1,2 et Alphabet de 0,9, contre une moyenne S&P 500 de 1,4.

Les ratios de rentabilité des capitaux propres témoignent également de la performance exceptionnelle de ces entreprises. Apple affiche un ROE de 147%, Microsoft de 36% et NVIDIA de 115%, des niveaux qui contrastent fortement avec la moyenne du S&P 500 à 18%. Les marges opérationnelles sont tout aussi impressionnantes, avec Microsoft Azure AI qui génère des marges de 42%, Google Cloud AI de 35%, et la division Data Center de NVIDIA qui atteint 73%.

Goldman Sachs met en avant le ratio de Sharpe des principales actions liées à l'IA, qui s'établit à 1,8 pour un portefeuille pondéré, contre 1,2 pour le S&P 500 traditionnel, suggérant une meilleure performance ajustée au risque.

La transition vers l'adoption généralisée

Les équipes de recherche de McKinsey & Company identifient une évolution cruciale du marché de l'IA, passant d'une phase d'innovation dominée par les créateurs de technologies vers une phase d'adoption généralisée par les entreprises traditionnelles. Cette transition devrait permettre à des secteurs variés de booster leur productivité grâce à l'intégration des outils d'intelligence artificielle.

Dans le secteur financier, JPMorgan Chase a ainsi annoncé des économies de 150 millions de dollars annuels grâce à l'implémentation de solutions d'IA, tandis que Visa utilise désormais l'intelligence artificielle pour détecter les fraudes en temps réel avec une précision de 99,9%. Le secteur de la santé n'est pas en reste, avec Johnson & Johnson qui revendique une accélération de 30% dans le développement de nouveaux médicaments grâce aux algorithmes d'apprentissage automatique.

L'industrie traditionnelle emboîte le pas avec General Electric qui déploie des solutions de maintenance prédictive sur ses turbines, ou Caterpillar qui développe des systèmes de gestion autonome pour ses équipements de chantier. Cette diffusion progressive élargit le terrain d'investissement au-delà des seuls géants technologiques vers des acteurs plus diversifiés.

Des investissements d'une ampleur historique

Pour soutenir cette croissance, les grandes entreprises technologiques investissent des sommes qui dépassent certains budgets publics majeurs. Microsoft consacre 50 milliards de dollars aux centres de données dédiés à l'IA, Google investit 48 milliards dans son infrastructure cloud, Amazon engage 75 milliards sur quinze ans pour AWS, tandis que Meta alloue 37 milliards en 2024, principalement pour l'IA et le métavers.

Ces investissements représentent désormais 2,1% du PIB américain en dépenses directement liées à l'intelligence artificielle et ont généré la création de 3,2 millions d'emplois dans le secteur technologique élargi, selon les estimations du Bureau of Labor Statistics. L'impact se ressent également chez les fournisseurs de semi-conducteurs, qui ont reçu 280 milliards de dollars de commandes liées aux infrastructures d'IA.

La géographie de ces investissements dessine une nouvelle carte économique. Si la Silicon Valley concentre toujours 45% des investissements mondiaux en IA, le Texas émerge comme un hub majeur avec de nouveaux méga-centres de données à Austin et Dallas. À l'international, Singapour s'impose comme le centre névralgique asiatique, tandis que l'Irlande accueille les hubs européens de Microsoft et Google.

Des signaux d'alerte persistent

Malgré ce tableau globalement optimiste, plusieurs institutions financières émettent des réserves. Certaines startups spécialisées dans l'IA affichent des valorisations qui interrogent : OpenAI est valorisée à 86 milliards de dollars malgré des revenus de 2 milliards, Anthropic atteint 15 milliards de valorisation avec un modèle économique encore incertain. Ces niveaux rappellent les excès de la bulle Internet, quand certaines entreprises technologiques affichaient des ratios cours/bénéfices supérieurs à 200.

L'impact environnemental constitue un autre défi majeur. Un centre de données dédié à l'IA consomme entre 30 et 50 mégawatts, l'équivalent d'une ville de 50 000 habitants. ChatGPT consomme à lui seul 564 MWh par jour, et la formation d'un modèle comme GPT-4 nécessite 1 287 MWh, équivalant à 550 tonnes de CO2. L'Agence internationale de l'énergie estime que les centres de données d'IA pourraient représenter 4% des émissions mondiales d'ici 2030.

Le cadre réglementaire évolue également rapidement. L'Union européenne a mis en œuvre l'AI Act avec des amendes pouvant atteindre 7% du chiffre d'affaires mondial pour les entreprises qui ne respecteraient pas les nouvelles règles. Aux États-Unis, l'Executive Order signé par le président Biden en octobre 2023 impose une surveillance renforcée des modèles d'IA les plus puissants, tandis que la Chine développe sa propre approche réglementaire centrée sur le contrôle des données d'entraînement.

Une transformation structurelle en cours

Selon les analystes de Citigroup, l'intelligence artificielle représente une transformation comparable à l'avènement d'Internet, mais avec des fondamentaux économiques plus solides. Contrairement à la bulle de 2000, les entreprises leaders du secteur génèrent des bénéfices substantiels et maintiennent des positions concurrentielles défendables grâce à leurs investissements massifs en recherche et développement.

Les équipes de Morgan Stanley soulignent que cette révolution technologique s'accompagne d'une transformation des modèles économiques traditionnels. L'adoption de l'IA par les entreprises conventionnelles devrait se traduire par des gains de productivité significatifs dans les années à venir, justifiant selon eux les valorisations actuelles par une croissance des bénéfices à long terme.

La question n'est plus de savoir si l'intelligence artificielle transformera l'économie mondiale, mais à quelle vitesse cette transformation s'opérera et quels seront les gagnants et les perdants de cette révolution technologique. Dans ce contexte d'incertitude, la vigilance reste de mise pour analyser les fondamentaux de chaque entreprise et distinguer les opportunités durables des engouements passagers.

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