19/06/2019 - Pédagogie
Bund : pourquoi acheter un placement à perte ?
Imagine un monde où quand tu vas à ta banque, tu demandes un emprunt, un crédit : et elle te rémunère chaque année pour avoir emprunté.
Imagine maintenant … un monde où on se rue vers les banques pour placer de l’argent sur un support d’investissement où tu es sur de perdre pendant les 10 prochaines années !
C’est comme le Livret A mais inversé …
Comment est-ce possible et est-ce que ça existe vraiment ?
OUI, c’est ce qui se passe en Allemagne, et ça fait un moment que ça dure, depuis le début de l’année et ça avait été déjà le cas en été 2016.
Les taux d’intérêt de l’obligation à 10 ans en Allemagne, le BUND, est négatif à -0.3%.
Et même le taux à 10 ans en France (OAT) est pour la première fois de son histoire passé lui, hier, sous 0, donc négatif.
C’est-à-dire que les investisseurs achètent un placement qui leur coute de l’argent et visiblement, ce n’est pas près de s’inverser.
Avant d’aller plus loin, voici un rappel de la mécanique des obligations.
Si tu empruntes à un taux de 1% en achetant une obligation à 100 €.
Demain, le taux baisse à 0.5%. Alors, ton obligation achetée avec un rendement de 1% vaudra plus cher, puisqu’elle rémunère plus. Donc quand les taux d’intérêt baissent, les prix des obligations montent.
Et vice versa.
S’il y a beaucoup de demande d’une obligation, selon la loi de l’offre et de la demande, le prix de l’obligation monte et donc le taux d’intérêt baisse.
Dis-toi qu’une obligation dont personne ne veut - si par exemple c’est trop risqué et tu n’es pas sûr à l’échéance de retrouver ton investissement de départ, tes 100 € dans l’exemple précédent, elle sera peu chère et son taux de rémunération (taux d’intérêt) sera élevé.
Mais pourquoi acheter une obligation qui te fait perdre de l’argent ?
Inflation basse
Les prévisions d’inflation chutent, donc pas de hausse de salaire, des prix, de la consommation, du prix du pétrole etc…
Les taux d’intérêt sont bas comme c’est le cas de la BCE (Banque Centrale Européenne) au plus bas depuis 3 ans. Mario Draghi pourrait même relancer la machine à billets via un Quantitative Easing, si on lit entre les lignes de son dernier discours du 18 juin 2019.
Contexte économique morose
Les prévisions de croissance en 2019 sont en baisse que ce soit dans le monde ou en Allemagne. Dans le pays germanique, elles sont estimées pour 2019 à +0.6% alors que la Bundesbank prévoyait +1.6% il y a 6 mois.
Il y a également la Guerre commerciale Etats-Unis / Chine, la « Guerre » IRAN / US (j’en ai parlé dans la précédente vidéo avec l’attaque des pétroliers dans le détroit d’Ormuz), les attentes autour du BREXIT et tous les chiffres macroéconomiques qui se dégradent de semaine en semaine.
Donc les investisseurs achètent ce qui est le plus sûr et se tournent vers les valeurs refuges. Et en ce moment, le plus sûr reste les obligations allemandes notées triple AAA par les agences de notation. Rappelons que l’Allemagne est la « locomotive » européenne.
Car oui, l’Allemagne est l’un des rares seuls pays en excédant budgétaire. Et qui dit excédant, dit moins besoin d’emprunter, donc effet rareté … les prix des obligations montent.
Et pour les obligations en France notamment l’OAT 10 ans, c’est la même chose, qui reste bien notée par les agences de notation et dont les taux sont passés négatifs. La France emprunte donc tout en gagnant de l’argent sur ses emprunts.
La peur de l’avenir
Tout cela est signe de la peur des investisseurs de l’avenir … de la prise de risque. Ils préfèrent perdre de l’argent mais que ce soit en sécurité … être sûrs de récupérer leur placement initial, et sont prêts à payer pour ça.
Les banques notamment achètent du BUND pour qu’elles aient dans leur « portefeuille » des fonds sûrs et puissent respecter les accords de Bale 3. C’est une réglementation mise en place après la crise financière de 2007-2008 pour éviter que les banques coulent à la prochaine crise et ainsi garantir leur stabilité financière.
Et pourtant, le marché des actions n’est pas inquiet et se porte même plutôt bien. Les indices à Wall Street sont sur leurs plus hauts historiques, au même titre que l’indice DAX ou encore l’indice CAC40 proche de ses plus hauts annuels.
Ceci s’explique simplement par le fait qu’il n’y a pas (pour le moment) de vrai choc. La morosité ambiante est lente, régulière, et compensée par l’assouplissement monétaire des banques centrales. Et tant qu’ils ne se réveilleront pas, ou que les opérateurs sur les marchés actions ne paniquent pas, ils se satisfont de banquiers centraux accommodants.