28/02/2025 - Cryptos
Le plus grand braquage de l’histoire : les cyberpirates nord-coréens à l’œuvre
Le 26 février 2025, le FBI a officiellement confirmé une information qui circulait depuis plusieurs jours : des hackers affiliés à la Corée du Nord, appartenant au groupe connu sous le nom de « Lazarus », ont orchestré ce qui est désormais qualifié de « plus grand braquage de l’histoire ». Ce vol spectaculaire, évalué à environ 1,5 milliard de dollars en actifs virtuels (soit 1,43 milliard d’euros), a été réalisé sous la forme de cryptomonnaies, marquant une nouvelle étape dans l’escalade des cyberactivités criminelles menées par Pyongyang. Cet événement, rapporté notamment par Courrier international et The Guardian, illustre à la fois l’audace et la sophistication dont font preuve ces cyberpirates au service d’un régime autoritaire.
Le déroulement du casse du siècle
Le braquage a visé un portefeuille numérique contenant 400 000 ethers, une cryptomonnaie majeure basée sur la blockchain Ethereum. Les hackers ont pris le contrôle de ce portefeuille avant de transférer les fonds vers une adresse non identifiée. Cette opération, d’une rapidité et d’une précision redoutables, a laissé la plateforme Bybit, victime de l’attaque, dans une position délicate. Ces derniers jours, Bybit a mobilisé des experts en cybersécurité parmi les plus brillants pour tenter de récupérer les fonds, mais leurs efforts sont restés vains à ce jour.
Le FBI a surnommé les responsables de cette attaque « TraderTraitor ». Selon les enquêteurs, ce groupe agit avec une efficacité remarquable : une fois les actifs dérobés, ils ont été rapidement convertis en bitcoins et autres cryptomonnaies, puis dispersés à travers des milliers d’adresses sur diverses blockchains. Cette stratégie rend le traçage des fonds extrêmement complexe, facilitant leur blanchiment et leur conversion éventuelle en devises traditionnelles. Cette méthodologie n’est pas nouvelle pour Lazarus, qui avait déjà fait parler de lui en 2022 en volant 620 millions de dollars via le piratage du jeu en ligne Axie Infinity.
Un historique de cybercriminalité d’État
Le groupe Lazarus n’en est pas à son premier coup d’éclat. Actif depuis au moins 2002, il est devenu l’un des acteurs les plus redoutés du cyberespace mondial. Ses opérations passées incluent des attaques emblématiques comme le piratage de Sony Pictures en 2014, en représailles à la sortie d’un film satirique sur Kim Jong Un, ou encore le vol de 81 millions de dollars à la Banque centrale du Bangladesh en 2016, souvent cité comme le plus grand « cybercasse » bancaire jusqu’à récemment. Le ransomware WannaCry, qui a paralysé des systèmes informatiques à travers le monde en 2017, notamment des hôpitaux britanniques, est également attribué à ce groupe.
Ces actions ne sont pas de simples actes de piraterie isolés : elles s’inscrivent dans une stratégie orchestrée par l’État nord-coréen pour financer ses ambitions, notamment son programme nucléaire et balistique. Selon un rapport de l’ONU, Pyongyang aurait dérobé environ 3 milliards de dollars en cryptomonnaies et autres actifs numériques depuis 2017, une manne utilisée pour contourner les sanctions internationales qui pèsent sur le pays depuis 2006. Ces sanctions, imposées par le Conseil de sécurité pour freiner le développement de son arsenal militaire, ont poussé la Corée du Nord à trouver des sources de revenus alternatives, dont le cybercrime est devenu un pilier essentiel.
Pourquoi les cryptomonnaies ?
Les cryptomonnaies représentent une cible idéale pour des groupes comme Lazarus. Moins régulées que le secteur bancaire traditionnel, elles offrent une certaine opacité et une traçabilité réduite, des atouts précieux pour un régime cherchant à opérer dans l’ombre. En 2022, les hackers nord-coréens avaient déjà marqué les esprits en dérobant 1,7 milliard de dollars en actifs virtuels, soit 44 % du total des vols de cryptomonnaies recensés cette année-là, selon la société Chainalysis. Le braquage de février 2025, avec ses 1,5 milliard de dollars, laisse présager une nouvelle année record pour ces cybercriminels d’État.
Ce qui distingue ces attaques, au-delà de leur ampleur, c’est leur sophistication. Les hackers nord-coréens ne se contentent pas de compétences techniques : ils exploitent une connaissance fine des comportements humains et des failles organisationnelles. Lors du casse de la Bangladesh Bank, par exemple, ils avaient attendu 17 mois après une première reconnaissance pour frapper au moment idéal, choisissant des cibles aux protocoles laxistes et coordonnant leurs actions avec des réseaux locaux pour blanchir les fonds.
Une menace géopolitique et économique
Au-delà de l’aspect criminel, ce braquage soulève des questions géopolitiques majeures. Les fonds volés par Lazarus servent directement à alimenter les caisses d’un régime isolé, dont l’économie est exsangue. Avec des exportations limitées à 142 millions de dollars en 2020, selon certaines estimations, le piratage informatique représente une part significative des revenus de la Corée du Nord. Ces ressources financent non seulement des missiles nucléaires, mais aussi une armée de hackers de plus en plus aguerris, formés dès leur plus jeune âge dans des institutions comme l’université Kim Chaek de Pyongyang.
Le FBI et d’autres agences internationales, bien que capables d’identifier les coupables, peinent à contrer cette menace. Park Jin-hyok, un membre présumé de Lazarus inculpé en 2018 par les États-Unis, illustre la complexité du problème : opérant depuis la Chine via une entreprise écran, il symbolise la difficulté d’appréhender des acteurs protégés par un État souverain.
Perspectives et défis
Ce dernier braquage met en lumière les failles persistantes du système financier numérique. Les plateformes de cryptomonnaies, souvent mal sécurisées, restent des cibles privilégiées, et l’absence de régulation mondiale cohérente complique la riposte. Pour les experts, la montée en puissance de l’intelligence artificielle pourrait encore amplifier les capacités des hackers nord-coréens, rendant leurs attaques plus difficiles à détecter et à contrer.
Face à cette menace, la communauté internationale est confrontée à un dilemme : renforcer les sanctions risque de pousser Pyongyang à intensifier ses cyberactivités, tandis qu’une inaction pourrait encourager d’autres États à adopter des stratégies similaires. En attendant, le « plus grand braquage de l’histoire » reste un rappel brutal de la manière dont le cyberespace est devenu un champ de bataille où la Corée du Nord, malgré son isolement, excelle avec une redoutable efficacité.