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13/03/2025 - Général

Mobilisation de l'épargne privée pour la défense

Le ministre de l'Économie, Éric Lombard, a dévoilé le 12 mars 2025, dans une intervention au Sénat relayée par Capital.fr, son intention de puiser dans l’épargne privée des Français pour financer la défense nationale. Exit l’idée d’un livret dédié : le gouvernement préfère s’appuyer sur les outils existants comme le Livret A ou l’assurance-vie. Si cette annonce se pare d’un vernis patriotique, elle suscite une question légitime : pourquoi les épargnants devraient-ils encore une fois compenser les lacunes d’une gestion publique défaillante ? Dans un contexte de finances exsangues et de promesses non tenues, ce projet soulève autant d’espoirs que de doutes.

Un contexte qui sent la panique budgétaire

La France, confrontée à un environnement géopolitique instable – tensions avec la Russie, guerre en Ukraine, hésitations américaines dans l’OTAN –, doit muscler ses capacités militaires. Avec un budget de la défense à 2 % du PIB (60 milliards d’euros annuels) et une hausse programmée de 3 milliards par an jusqu’en 2030, le gouvernement admet qu’il faut "aller plus vite et plus fort". Mais avec un déficit public flirtant avec les 50 milliards d’euros prévus pour 2025 et une dette à 112 % du PIB, les caisses sont vides. Plutôt que de réformer en profondeur ou de couper dans des dépenses superflues, l’exécutif se tourne vers les 6 400 milliards d’euros d’épargne des Français, dont 600 milliards sur le Livret A et plus de 2 000 milliards en assurance-vie. Une manne trop tentante pour un gouvernement en mal de solutions.

Les épargnants en première ligne, sans vraie contrepartie

Éric Lombard a balayé l’idée d’un livret spécifique, arguant que "beaucoup d’outils d’épargne existent déjà". Traduction : pas de nouvel instrument taillé sur mesure pour les citoyens, mais une réorientation opportuniste des fonds actuels vers l’industrie de la défense. Une réunion est prévue le 20 mars à Bercy avec des investisseurs et des entreprises du secteur, histoire de vendre l’idée aux marchés. Mais pour les épargnants, le deal est flou : quel rendement pour compenser le risque ? Quelles garanties que leur argent ne sera pas englouti dans des projets mal ficelés ? Le ministre promet une participation à "la sécurité nationale", mais ce discours sent le patriotisme à bon marché quand on sait que l’État refuse d’augmenter les impôts ou de s’endetter davantage officiellement.

Les Français, qui ont bâti cette épargne souvent comme un rempart contre l’incertitude – inflation à 3,2 % en février 2025, pouvoir d’achat en berne –, pourraient légitimement se demander pourquoi ils doivent encore mettre la main à la poche. Sur X, un utilisateur résume bien le scepticisme ambiant : "L’épargne mobilisée, OK, mais les intérêts et le capital, on les rembourse avec quoi ? Encore de la dette cachée ?"

Les promesses en l’air d’un gouvernement désemparé

Une aubaine pour les industriels, pas pour les citoyens

L’objectif affiché est de doper la "base industrielle et technologique de défense", soit 2 000 entreprises et 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Une aubaine pour les grands groupes comme Dassault ou Thales, mais les épargnants, eux, risquent de n’y voir qu’un rendement incertain. Le Livret A offre 2,4 % nets d’impôt, un filet de sécurité apprécié. Pourquoi risquer cet argent dans des obligations ou des fonds spéculatifs liés à la défense, sans incitations claires ? Le gouvernement mise sur la bonne volonté des Français, mais sans avantages fiscaux ou taux attractifs, cette mobilisation pourrait faire un flop.

Une dette déguisée sous couvert d’innovation

Le discours d’Éric Lombard insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de "confisquer l’épargne". Mais si des fonds privés financent des projets publics, les remboursements et intérêts devront bien venir de quelque part. Avec un déficit structurel chronique et une croissance atone (1,1 % prévue pour 2025), l’État risque de transformer cette "mobilisation" en une dette masquée, repayée demain par les contribuables – les mêmes qui auront prêté leur épargne aujourd’hui. Une pirouette budgétaire qui ne trompe personne.

Une alternative aux vraies réformes ?

Face à l’impasse financière, le gouvernement aurait pu envisager un grand emprunt national ou négocier une exception aux règles européennes sur le déficit (3 % du PIB). Mais non : Éric Lombard préfère bricoler avec l’existant, évitant les décisions courageuses. Emmanuel Macron avait pourtant évoqué en février des "produits d’épargne" spécifiques, une idée vite remisée. Cette frilosité trahit un manque de vision : plutôt que de réformer la dépense publique – 57 % du PIB, un record en Europe –, l’exécutif préfère solliciter les Français, déjà échaudés par des années de promesses non tenues.

Les épargnants méritent mieux qu’un appel au sacrifice

La réunion du 20 mars dira si les investisseurs mordent à l’hameçon. Mais pour les épargnants, le message est clair : votre argent est une cible facile pour un gouvernement aux abois. Si l’idée de contribuer à la défense peut séduire, elle ne doit pas se faire au détriment de la transparence et de la justice. Pourquoi pas un livret dédié avec un rendement garanti, ou une consultation citoyenne sur l’usage de ces fonds ? Au lieu de cela, l’exécutif impose une solution bancale, sans débat ni contrepartie tangible.

En somme, la mobilisation de l’épargne privée pourrait être une idée pertinente si elle respectait les épargnants. Mais dans sa forme actuelle, elle ressemble à une rustine sur une politique budgétaire à la dérive. Les Français méritent mieux qu’un énième appel au sacrifice déguisé en élan patriotique. À quand une vraie stratégie qui ne repose pas sur leurs épaules ?

FT

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