Le secteur des semi-conducteurs en crise ? Ou juste Nvidia ?

Le secteur des semi-conducteurs, pilier de l'économie technologique mondiale, traverse-t-il une crise majeure en ce début d'année 2025 ? Depuis plusieurs semaines, les actions des principales entreprises de ce secteur, souvent considérées comme les moteurs de la révolution de l'intelligence artificielle (IA), affichent des performances mitigées. Wall Street semble avoir adopté une posture plus rigoureuse envers ces acteurs, notamment après les récents développements liés à la start-up chinoise DeepSeek. Si les pertes sont généralisées, un examen approfondi révèle que Nvidia Corp. porte une part disproportionnée du fardeau. Cet article explore la situation actuelle du secteur, les raisons de cette apparente crise, et évalue si celle-ci est véritablement systémique ou si elle se concentre principalement sur Nvidia.

Une saison de résultats sous pression

La saison des résultats début 2025 a mis en lumière une certaine nervosité des investisseurs envers les entreprises de semi-conducteurs, en particulier celles liées à l'IA. Après des années de croissance fulgurante portée par la demande insatiable pour des puces capables de soutenir les modèles d'IA générative, les attentes étaient élevées. Cependant, les marchés ont réagi de manière punitive face à des résultats qui, bien que solides dans certains cas, n'ont pas atteint les sommets anticipés. Cette rigueur accrue semble refléter un changement de paradigme : les valorisations stratosphériques des leaders du secteur, comme Nvidia, Broadcom ou Marvell Technology, ne sont plus acceptées sans une justification indiscutable.

Le catalyseur le plus marquant de cette période tumultueuse est sans doute l’émergence de DeepSeek, une start-up chinoise qui a dévoilé un modèle d’IA performant et peu coûteux le 27 janvier 2025. Ce développement a ébranlé la confiance des investisseurs dans le modèle économique des géants américains, qui repose sur des investissements massifs en R&D et des puces coûteuses. En conséquence, une vague de ventes a secoué le secteur, et l’indice PHLX Semiconductor, qui regroupe les principales entreprises de semi-conducteurs cotées à Wall Street, a chuté de manière significative.

Une perte de valeur marchande colossale

Depuis le 27 janvier 2025, l’indice PHLX Semiconductor a perdu environ 1,04 trillion de dollars en valeur marchande, un chiffre vertigineux qui illustre l’ampleur de la correction. Sur ce total, 783 milliards de dollars sont attribués à Nvidia, soit près de 75 % de la perte globale. Cette statistique est révélatrice : bien que d’autres acteurs comme Broadcom Inc. et Marvell Technology Inc. aient également vu leurs actions reculer, leur impact sur l’indice est moindre en raison de capitalisations boursières plus modestes.

Nvidia : Leader incontesté du marché des GPU pour l’IA, Nvidia a vu sa valorisation s’effondrer de manière spectaculaire après avoir atteint des sommets historiques en 2024. La chute de 17 % enregistrée le 27 janvier, qui a effacé 589 milliards de dollars en une seule journée, a marqué le début d’une période de sous-performance. Depuis cette date, l’action Nvidia a continué à perdre du terrain par rapport au S&P 500 et à l’indice PHLX, reflétant une perte de confiance dans sa capacité à maintenir sa domination face à des concurrents plus agiles comme DeepSeek.

Broadcom et Marvell : Ces entreprises, bien que touchées, ont subi des pertes proportionnellement moins importantes. Broadcom, avec une baisse de 17,4 %, et Marvell, avec une chute de 19,1 %, ont vu leurs valorisations diminuer, mais leur poids dans l’indice PHLX reste limité comparé à celui de Nvidia.

Nvidia : un cas particulier ou un symptôme ?

La question centrale est de savoir si cette correction reflète une crise généralisée du secteur des semi-conducteurs ou si elle est principalement liée à la situation spécifique de Nvidia. Plusieurs éléments permettent d’éclaircir ce débat.

Les facteurs pesant sur Nvidia

Nvidia a bâti son succès sur une position dominante dans le marché des puces pour l’IA, avec des GPU comme le H100 qui sont devenus la référence pour entraîner les grands modèles de langage. Cependant, l’annonce par DeepSeek d’un modèle d’IA performant développé pour seulement 5,6 millions de dollars – contre des milliards investis par les leaders américains – a remis en question la pertinence de cette stratégie. Si des solutions low-cost peuvent rivaliser avec les technologies de pointe, la dépendance de Nvidia à des puces coûteuses pourrait devenir un handicap.

De plus, les soupçons selon lesquels DeepSeek aurait pu accéder à des puces Nvidia H100 malgré les restrictions à l’exportation américaines ont alimenté les spéculations. Bien que non confirmées, ces allégations ont accru la perception de vulnérabilité de Nvidia face à la concurrence chinoise.

Le reste du secteur : une résilience relative

En comparaison, des entreprises comme Broadcom et Marvell, bien qu’impactées, semblent moins exposées à cette disruption. Broadcom, par exemple, tire une grande partie de ses revenus de contrats personnalisés avec des géants comme Google et Meta, une activité moins directement menacée par DeepSeek. Marvell, quant à lui, se concentre sur des segments comme les centres de données et les réseaux, où la concurrence est moins frontale. Même des acteurs comme AMD et Micron, avec des baisses respectives de 6,37 % et 11,71 % le 27 janvier, ont montré des signes de stabilisation plus rapides que Nvidia.

L’indice PHLX Semiconductor, bien qu’en recul, reste soutenu par une diversité d’entreprises dont les fondamentaux demeurent solides. La demande pour les semi-conducteurs reste forte dans des domaines comme l’automobile, l’électronique grand public et les infrastructures cloud, ce qui suggère que la crise pourrait être plus conjoncturelle que structurelle pour le secteur dans son ensemble.

Perspectives et implications

À court terme : une volatilité persistante

Les six dernières semaines ont montré que le secteur des semi-conducteurs, et Nvidia en particulier, reste vulnérable à des chocs exogènes comme l’émergence de DeepSeek. La volatilité devrait persister tant que les investisseurs n’auront pas une vision claire de la menace représentée par les nouveaux entrants et de la capacité des leaders à s’adapter. Pour Nvidia, un rebond dépendra de sa capacité à démontrer que ses investissements massifs en R&D peuvent maintenir son avance technologique.

À long terme : une nécessaire réinvention ?

À plus long terme, le secteur des semi-conducteurs pourrait être contraint de repenser son modèle économique. Si DeepSeek prouve que des IA performantes peuvent être développées avec des ressources limitées, les entreprises comme Nvidia devront soit réduire leurs coûts, soit justifier leurs prix premium par des innovations radicales. Parallèlement, les politiques américaines visant à limiter l’accès de la Chine aux technologies avancées pourraient accentuer les tensions géopolitiques, avec des répercussions sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Conclusion

Le secteur des semi-conducteurs n’est pas nécessairement en crise globale, mais il traverse une période de turbulences significatives, largement amplifiées par la situation de Nvidia. Avec une perte de 783 milliards de dollars sur les 1,04 trillion enregistrés par l’indice PHLX depuis le 27 janvier 2025, Nvidia apparaît comme le principal responsable du repli actuel. Si Broadcom, Marvell et d’autres acteurs ont également été pénalisés, leur impact reste moindre, et leurs fondamentaux suggèrent une résilience relative. Ainsi, plutôt qu’une crise systémique, nous assistons peut-être à un ajustement brutal des attentes autour de Nvidia, exacerbé par l’émergence de DeepSeek. L’avenir dira si ce géant peut retrouver son élan ou si le secteur tout entier doit se réinventer face à une concurrence nouvelle et audacieuse.